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La Presse
24-07-2025
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Travaux au Manoir Lafontaine
Nadine Freville fait partie des locataires du Manoir Lafontaine qui s'impatientent face aux retards dans le chantier. Le Manoir Lafontaine, à Montréal, était un symbole de la lutte contre les rénovictions. Vidé de ses locataires, il illustre maintenant les délais qui affligent le développement de projets de logements abordables, en pleine crise du logement. Les travaux de rénovation majeurs de la tour de 14 étages et 93 logements n'ont pas encore commencé, deux ans après le rachat de l'immeuble par un organisme à but non lucratif. Le chantier devait pourtant débuter à l'automne 2023. « J'ai 82 ans. J'ai le temps de mourir avant de retourner chez nous ! Ça me fait peur », a lancé Maggie Sawyer, en entrevue avec La Presse jeudi dernier. La locataire a habité pendant un demi-siècle au Manoir Lafontaine, jusqu'à son départ en juillet 2023 dans la foulée du rachat par l'organisme Interloge, qui devait entreprendre les travaux. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Maggie Sawyer, locataire du Manoir Lafontaine, est relogée dans un autre immeuble appartenant à Interloge. Face aux retards, « on est très déçus », a-t-elle dit, dénonçant les échéanciers constamment repoussés. Une autre locataire, Nadine Freville, déplore aussi la tournure des évènements. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Le Manoir Lafontaine, une tour de 14 étages et 93 logements, fait face au parc du même nom, à Montréal. « J'ai libéré la place en pensant que ça allait permettre aux choses d'avancer », a-t-elle confié. Quand le rachat de l'immeuble par Interloge a été annoncé, en mai 2023, elle n'imaginait « pas une seconde » que les travaux n'auraient même pas débuté deux ans plus tard. J'avais confiance, beaucoup d'espoir. Nadine Freville, locataire du Manoir Lafontaine Les deux femmes sont relogées dans d'autres immeubles appartenant à Interloge. Elles auront éventuellement le droit de reprendre leur logement au Manoir Lafontaine et de payer le même loyer qu'avant. « Il y a des délais, c'est indéniable » Le Manoir Lafontaine a été construit dans le cadre d'Expo 67. Il a servi d'hôtel avant d'être transformé en édifice résidentiel. Une même famille en a été propriétaire pendant plusieurs années, jusqu'à son rachat par les promoteurs immobiliers Jeremy Kornbluth et Brandon Shiller. PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE Manifestation en avril 2021 devant le Manoir Lafontaine pour dénoncer l'expulsion de ses résidants La tentative des nouveaux propriétaires de vider l'immeuble pour y faire des travaux majeurs avait créé une vive controverse en 2021, plusieurs locataires soupçonnant les deux hommes de vouloir y aménager des appartements de luxe. Deux ans plus tard, la mairesse de Montréal, la ministre responsable de l'Habitation et le grand patron de Desjardins étaient réunis pour annoncer le rachat de l'immeuble par l'organisme Interloge, pour y faire des logements abordables. « Le début des travaux de rénovation est prévu à l'automne 2023 », indiquait leur communiqué. C'était « une affirmation optimiste », reconnaît aujourd'hui Louis-Philippe Myre, directeur général d'Interloge. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Le balcon de l'ancien appartement de Nadine Freville, sur lequel elle a installé une pancarte avec la mention « Manoir du mépris » « On est en train de mettre en place un financement complet pour commencer les travaux dans les prochaines semaines en bonne et due forme, a-t-il assuré en entrevue. Il y a des délais, c'est indéniable. […] La mise en place du financement prend un peu plus de temps que prévu parce qu'il y a des délais d'approbation, notamment de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. » C'est une opération qui nécessite beaucoup de planification et d'attention. On préfère prendre le temps qu'il faut pour bien faire les choses que de commencer un chantier et découvrir de mauvaises surprises en cours de route. Louis-Philippe Myre, directeur général d'Interloge En mai 2023, les élus rassemblés parlaient de sauvetage, de victoire des locataires. Leur communiqué laissait entendre que l'enveloppe de 38 millions rassemblée auprès de différents partenaires constituait un montage financier pour permettre au projet d'aller de l'avant. « Pour Interloge, il était clair dès le départ qu'il manquerait de l'argent pour compléter le projet de rénovation », affirme maintenant M. Myre. Au cabinet de la mairesse Valérie Plante, on continue de décrire l'annonce de 2023 comme « une fierté de notre administration et un symbole fort de résistance ». « Le chantier doit débuter cet été afin de pouvoir accueillir les premiers locataires en 2027 », indique une déclaration transmise par écrit. « Toutefois, le bouclage du montage financier est complexe et nous accompagnons présentement Interloge à ce niveau afin que l'organisme puisse démarrer les travaux dans les temps. Ceci démontre également toute la complexité derrière les projets de sauvegarde de logements abordables. » Le cabinet a appelé l'ensemble des bailleurs de fonds à « être au rendez-vous ». Un temps de réaction plus lent Pour Jean-Philippe Meloche, professeur à l'Université de Montréal spécialisé en économie urbaine, ce type de délais n'est pas inhabituel dans les projets qui dépendent du secteur public. Il n'a pas souhaité commenter le cas du Manoir Lafontaine en particulier. Les projets privés et les projets hors marché font face aux mêmes problèmes – comme les coûts de construction en augmentation ou la pénurie de main-d'œuvre –, mais ceux qui ne dépendent pas de l'État sont plus agiles. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Le Manoir Lafontaine Dans le secteur public, quand « il faut que chaque prêt soit cautionné par un programme public, oui, ça peut générer des délais », a-t-il expliqué en entrevue téléphonique. En comparaison, une banque qui finance un projet de condos « va être probablement plus rapide à répondre. Ils ne sont pas dans un programme spécifique, ils sont dans un marché », a-t-il poursuivi. « Du moment où on sait que le projet est viable, si [les coûts] augmentent de 15 %, on regarde les chiffres et si c'est encore viable : go, on y va. » M. Meloche montre aussi du doigt la propension des politiciens à annoncer trop tôt des projets mal ficelés en y incluant « une pile de promesses et de vœux pieux ». « C'est un peu ça qui est le problème quand ça part du politique, observe le professeur. La problématique dans le public, c'est que souvent, ce qui est annoncé au départ a été fait sur une napkin », sans l'apport d'un promoteur immobilier expérimenté.


La Presse
17-07-2025
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Le mythe du filtrage et l'ombre de la financiarisation
« Les crises passées ont pu se résorber grâce à une offre accrue, mais le contexte a changé », écrit l'auteur. Le mythe du filtrage et l'ombre de la financiarisation L'auteur réagit aux chroniques de Maxime Bergeron du 7 juillet, « Ce gratte-ciel de 63 étages, aidera-t-il la crise du logement 1 ? » et de Philippe Mercure du 1er juillet, « Construit-on des logements inutiles contre la crise 2 ? ». Richard Ryan Consultant en logement abordable, conseiller municipal à Montréal de 2009 à 2021 Dans un contexte de crise du logement, il est salutaire que des journalistes comme Maxime Bergeron et Philippe Mercure posent les bonnes questions. Leurs articles soulèvent un enjeu crucial : la validité de la théorie du filtrage (ou ruissellement), selon laquelle construire des logements pour les plus fortunés finirait par profiter à l'ensemble de la population. Ce raisonnement, issu de la loi classique de l'offre et de la demande, est largement soutenu par des promoteurs comme Marc Varadi (projet Skyla) et relayé par plusieurs économistes, notamment à la SCHL. On nous assure que les ménages aisés, en occupant les logements neufs, libèrent des logements plus abordables pour ceux aux revenus modestes, enclenchant ainsi une chaîne de mobilité vers le bas. Mais cette mécanique tient-elle encore la route ? Les crises passées ont pu se résorber grâce à une offre accrue, mais le contexte a changé. Aujourd'hui, les logements « libérés » par les plus riches sont, eux aussi, devenus inabordables pour une grande partie de la population. Depuis 2019, les loyers ont augmenté de 71 % à Montréal, alors que les revenus n'ont pas suivi. Même les logements existants deviennent inaccessibles dès qu'ils changent de locataire. Les données récentes de la SCHL sont éclairantes : les loyers ont augmenté de 23,5 % à l'échelle canadienne pour les logements ayant changé de ménage, contre seulement 5,7 % pour les logements restés occupés. À Montréal, l'écart est semblable : 18,7 % contre 4,7 %. Voilà un symptôme d'un marché déconnecté des besoins. Rentabilité rapide La situation n'est plus simplement conjoncturelle. On assiste à une transformation structurelle du marché résidentiel, dominée par un modèle économique fondé sur la rentabilité rapide. La financiarisation de l'habitation 3 – qui désigne l'entrée massive des capitaux privés et institutionnels dans l'immobilier locatif – joue ici un rôle central. Ce modèle privilégie les projets très rentables, comme les micrologements ou les tours de luxe, au détriment d'une offre diversifiée et réellement abordable. Avant les années 2000, les promoteurs répondaient à un éventail plus large de besoins résidentiels, y compris ceux des classes moyennes. Aujourd'hui, les rendements rapides recherchés par les fonds d'investissement concentrent les projets sur une clientèle fortunée. Résultat : des logements comme ceux du Skyla, affichés à 3740 $ pour un 4 ½, excluent 80 % des ménages. La spéculation dans le parc locatif existant, avec ou sans rénovations majeures, accentue aussi la pression. Les règles actuelles du Tribunal administratif du logement sont telles qu'elles n'empêchent pas des hausses ancrées sur les prix du marché, encourageant des investisseurs à acquérir des immeubles simplement pour en maximiser le rendement. L'instabilité locative, autrefois réservée aux plus vulnérables, touche désormais les classes moyennes. La peur de devoir quitter son logement, de ne pas pouvoir se reloger à un prix raisonnable est devenue monnaie courante. C'est ici que le mythe du filtrage 4 s'effondre : les logements libérés ne sont plus accessibles. L'idée que « toute construction est bonne » devrait sérieusement être reconsidérée. Certes, plusieurs obstacles nuisent à la construction : coûts des matériaux, taux d'intérêt, lourdeurs administratives. Mais le vrai « éléphant dans la pièce », c'est un secteur de l'habitation désormais gouverné par la logique financière, qui s'éloigne de sa mission première : loger adéquatement la population. 1. Lisez la chronique « Ce gratte-ciel de 63 étages aidera-t-il la crise du logement ? » 2. Lisez la chronique « On a posé la question pour vous – Construit-on des logements inutiles contre la crise ? » 3. Lisez le rapport La financiarisation du logement au Canada 4. Lisez le rapport Filtrage : stratégie à long terme – logements neufs et abordabilité Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue